Portrait de Thuy

Ce portrait a été écrit en 2011, par Ludovic, jeune volontaire d’Estacaide (voir rubrique « Témoignages-Missions Etudiants »)

 

ThuyUne femme, une flamme, une âme…

« Elle ne garde rien pour elle, elle pense toujours aux autres », dit Jean Garcia. Et pour cause, son épouse NGUYEN THI Ngoc Thuy est une personne hors du commun, un petit bout de femme exceptionnelle en tout . Outre ‘’Voyage au Vietnam’’, la société qu’elle a fondée avec son mari, elle gère de nombreuses autres activités : responsable associatif, Sous-chef chez les Familles Bouddhistes, Assistante principale d’éducation, assistante sociale, mécène auprès de familles pauvres, porteuse de projets auprès du comité populaire, guide touristique, assistante scolaire, écrivaine publique… Son temps, elle ne le consacre qu’aux autres : depuis plus de 15 ans elle oeuvre pour aider les habitants de Huong Ho, particulièrement les enfants. Son crédo est le développement par l’éducation ; son combat, l’élimination de la misère et la diminution de la pauvreté ; son terrain d’action, son village de coeur (Huong Ho) et les orphelinats Chi Lang, Duc Son. Son aide s’est initialement portée sur les sampaniers, une population vivant sur le fleuve, puis s’est rapidement étendue à toute une région.

Une histoire impériale:

Son engagement, Thuy le tient depuis le plus jeune âge. Née à Hué, d’une mère danseuse dans la troupe impériale et d’un père employé d’état. Ses parents, pauvres, n’ont pas les moyens de lui offrir l’éducation qu’ils souhaitent. Ils décident de la confier à sa grand-mère – arrière-petite-fille de Minh Mang Nguyen, second empereur de la dynastie Nguyen. « J’ai vécu de 3 ans à 5 ans avec ma grand-mère » dit-elle. Ce qu’elle omet de préciser, c‘est que celle-ci vivait seule au Mausolée créé à l’effigie de son glorieux ancêtre. Elle vivra modestement pendant deux ans dans ce lieu impérial laissé à l’abandon. Elle retrouve ensuite ses parents dans une petite maison derrière la cité impériale. Elle entame sa scolarité dans les meilleures écoles de Hué, ses parents s’endettant pour la financer. Elle fait des études de français avant de commencer à travailler… dans l’humanitaire, comme professeure puis comme employée dans une société de tourisme. Elle donne parallèlement des cours de français dans un orphelinat, où elle rencontrera Jean.

Une parfaite symbiose:

Son plus grand soutien est certainement celui de son mari. Jean Garcia, Hispano-français, né aux pieds des Pyrénées. Après avoir exercé en tant que technicien sur des sous-marins nucléaires, il décide de s’installer pour 6 mois au Vietnam pour y faire de l’humanitaire. Un mois après son arrivée, il allait vivre un évènement qui allait changer le sens de sa vie. Une semaine de survie, réfugié à l’étage de son orphelinat, à s’occuper des enfants envers qui il s’était engagé, en attendant la décrue de la Rivière des Parfums. C’est lors de cette tragédie qu’il rencontra Thuy nageant dans les eaux turbulentes. Ils lient une amitié basée sur leur engagement commun : la gestion d’un orphelinat. Après une séparation de quelques années, Jean s’étant installé à Ho Chi Minh, ils s’y retrouvent en 2004… pour ne jamais se quitter. Leur mariage est célébré quelques mois après. Leur union marquera le début de l’action auprès des sampaniers. En 2005, ils décident de créer une entreprise de tourisme dont les bénéfices leur serviront à financer des actions humanitaires. La situation préoccupante des sampaniers, victimes de la précarité inhérente à leur mode de vie, exigeait une réaction. Riches de la fusion de leurs cultures différentes, ils ont créé une complicité qui leur donne une ouverture d’esprit et une capacité d’action exceptionnelle.

Le moteur d’une famille:

Pour pouvoir aider les autres, il faut préalablement s’en sortir soit même. C’est ce principe qu’elle a appliqué avec sa famille. Thuy et son époux vivent dans la maison familiale où se côtoient quatre générations : « c’est ce qu’a choisi ma femme, il y aurait bien longtemps que l’on aurait pu avoir notre chez nous », avoue Jean. Une fois ‘’Voyage au Vietnam’’ créée, Thuy a employé six membres de sa famille, allant de la soeur aux beaux-frères. Grâce aux bénéfices, elle finance la construction d’un café dont elle a donné les reines à son cousin. L’une de ses tantes est enseignante et vit avec son mari juste au dessous de la ludothèque. « Mon oncle s’occupera du site ». explique-t-elle, tandis que sa tante assurera le soutien scolaire bénévolement les après-midis. « Au Vietnam, les liens du sang priment », résume en quelques mots Jean. Thuy le démontre parfaitement en partageant tout avec les siens. Et ils le lui rendent bien, tant elle est écoutée et appréciée par ceux qui partagent avec elle son quotidien.

Un engagement sans faille:

Le dévouement à la cause des Sampaniers est né pendant l’inondation de 2004. « J’avais déjà entendu parler de ce peuple, mais je n’imaginais pas ce que j’ai vu » dit Thuy. Cette crue fut dévastatrice pour ces personnes, dont le sampan était le seul refuge. « Ils vivent à 5, 6 parfois plus dans cette embarcation de moins de 5 m² » explique Jean, dans son rôle de guide hors pair. Démunis, n’ayant plus rien à manger, encore sous le choc de cette terrible catastrophe : « je ne savais pas combien ils étaient, j’ai juste apporté un carton de pâtes instantanées en leur disant que je ne savais pas si il y en avait assez, explique émue Thuy, ce qui m’a le plus touchée, c’est qu’ils m’ont dit que, même s’ils sont nombreux, ils savent partager ». Depuis ce jour, Thuy consacre toute son énergie à aider les sampaniers, pour améliorer leurs conditions de vie, offrir l’éducation à leurs enfants et leur assurer un avenir. Un message posté sur le site de leur agence de tourisme proposait de financer la scolarité des enfants. « J’ai remarqué qu’avec 5 € par mois, il était possible de les aider ». C’était le début de l’action auprès des sampaniers qui allait se développer très rapidement. Depuis, il ne passe pas un jour sans qu’elle ne pense à ce petit garçon qu’elle a inscrit au collège ou encore cette petite fille leucémique, hospitalisée depuis plusieurs années, dont elle apporte soutien et réconfort à la mère. Elle a pour les sampaniers un engagement aussi fort que les liens du sang, aussi grand que les voeux qu’une future épouse prononcerait pour l’élu de son coeur. Les sampaniers, c’est sa deuxième famille. Visitez le village de Huong Ho et Jean vous montrera les endroits où sont relogés la quasi-totalité des sampaniers. « Les enfants sont adorables, ma femme les accueillerait tous à la maison si elle le pouvait ». Ne vous méprenez pas, Jean est aussi engagé que sa femme dans toutes les actions entreprises, mais « c‘est madame qui gère » concède-t-il.

Une gardienne d’exception:

Voyez l’oeil attentif et protecteur qu’elle a lorsqu’elle visite les familles qu’elle aide ou lorsqu’elle s’occupe des enfants. Thuy, c’est la bonne fée du village. Rien n’est assez pour ses protégés, tant qu’ils le méritent. A une jeune fille qui lui demande de l’argent pour ses cours d’anglais, elle répond « oui, si tu lui dis (à moi présent avec elle) ne serait-ce qu’une phrase en anglais, car tu en fais depuis 3 ans ». Thuy s’efforce d’être juste et agit avec tact pour ne pas froisser les sensibilités et éviter les jalousies. Les personnes qui parrainent des enfants grâce à l’association « Les Sampaniers du Vietnam « sont priées de ne pas envoyer plus de deux colis par an : elle s’assure ainsi que les familles ne perdent pas leurs repères. Elle est toujours présente pour les nouvelles demandes. « Il suffit que je sois là pour qu’ils viennent me voir ». Partout où elle passe, des habitants accourent. Thuy est sans aucun doute la personne la plus demandée du village. C’est cela d’être une femme de coeur.

Un personnage charismatique:

Thuy ne serait ce qu’elle est sans de grandes vertus. Son honnêteté, son courage, sa générosité, sa justice sont autant d’atouts qu’elle porte en elle. Elle a de la prestance. Lorsqu’elle parle, tout le monde l’écoute. D’une voix affirmée, elle dit ce qu’elle doit, de la manière la plus appropriée, à qui doit l’entendre. Cela fait d’elle une femme de caractère, appréciée, respectée et crainte par moment et par tous : les enfants, les parents, les responsables du village… L’ouvrier n’a pas commencé les travaux comme il l’avait dit ? « Quand tu le verras, passe lui ton téléphone », dit-elle simplement à Jean. Des problèmes de discipline avec un enfant ? Thuy sait sévir. A l’inverse, elle sait récompenser lorsqu’il le faut. Aucune situation ne résiste à sa détermination. Elle fait preuve d’une grande intelligence dans tous ses projets et dans ses rapports aux autres. Sereine, elle sait prendre des décisions et trancher : ses arbitrages sont basés sur une autre grande qualité, son impartialité. Mais par-dessus tout, c’est sa joie de vivre et son humour permanents qui font d’elle une femme très agréable à vivre. Elle est la mère, la soeur, l’amie que beaucoup souhaiteraient avoir.

Sa foi, un héritage indéniable:

La religion bouddhiste fait partie intégrante de sa vie. « Le bouddhisme n’est pas une religion, c’est une philosophie de vie » reprend-elle. Elle fait partie des Familles Bouddhistes (équivalent des scouts). Son grade ? « Deux graines ! » Une « sous-chef » qui gère toutes les activités de la Pagode An Lac (lieu de culte destiné à Bouddha où se réunissent les familles). Cette foi, Thuy la tient certainement de son père. Responsable des concessions funéraires pour la commune, il est aussi chef chez les Familles Bouddhistes depuis plus de 40 ans. Tel père, telle fille direz-vous… Rajoutez également telle mère, telle fille ! L’aide à autrui est une affaire de famille. Sa mère s’occupe de l’association des femmes et joue donc un rôle social majeur dans le village. Une de ses soeurs vit avec sa belle famille et en est le moteur, tout comme Thuy. A croire que ce comportement est génétique. « Mon épouse, c’est la pire, il n’y en a qu’une comme elle » ironise fièrement Jean. Il est vrai qu’elle réalise seule, autant que ses proches, et que beaucoup d’autres personnes sur cette terre. Une âme telle que la sienne possède quelque chose de divin, une spiritualité omniprésente, une philanthropie surdéveloppée. Son équilibre, Thuy le trouve dans la méditation, cette technique qui consiste à se concentrer sur une pensée, une seule. Cette pensée, c’est le bouddhisme, dont elle applique les préceptes chaque jour. Pour accompagner ce bien être de l’esprit, Thuy prend soin de son corps. Elle pratique le yoga comme technique de relaxation. Souple ? Parfaitement. Observez l’une de ses séances et vous découvrirez son agilité, sa sérénité, sa force d’esprit. Un dernier élément fait la particularité de Thuy : l’alimentation. Elle est végétarienne et y trouve tout son plaisir. Pourquoi ? Par conviction. Elle préserve ainsi de nombreuses vies animales, importantes selon les préceptes bouddhistes. Chaque fois qu’elle en a l’occasion, Thuy fait preuve de grandeur d’âme, telle une Mère Thérésa ou un Abbé Pierre, qui partageraient certainement beaucoup de ses engagements.

L’humilité et l’altruisme portent un visage:

Ne lui faites surtout pas de compliments. Ne lui demandez pas non plus l’autorisation de publier un article sur elle. Thuy n’accepte pas que l’on parle d’elle. Son action, elle ne s’en vante pas. Pour elle, c’est chose naturelle et nul ne doit la remercier pour ses bienfaits. Ce qui lui arrive importe peu, l’important c’est l’amélioration de la vie de toutes ces personnes. « Elle ne se met jamais en avant, révèle son cher et tendre. Lors du reportage de FR3 en 2008, elle a imposé de n’avoir aucune image d’elle ». Elle pense aux autres même dans son mode de vie : « même s’il nous reste 500 000 VND (environ 20 €) pour finir le mois, si quelqu’un passe à la maison (entendez une personne dans le besoin), elle lui donne ». Qui peut le lui reprocher ? Il suffit de passer quelques heures avec elle pour sentir le bonheur immense que lui procurent les résultats de son engagement. C’est sa plus grande réussite, sa récompense, et cela lui suffit. Très simple, elle l’est. Vous la croiserez toujours avec son scooter, habits élégants mais sobres, petit sac à bandoulière, tout sourire, se rendant vers son passe-temps favori : l’humanitaire.

L’humanitaire c’est son travail, sa joie, sa peine, son bonheur… sa vie, tout simplement !

Quelle leçon de vie !